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29 janvier : Maurice Joyeux

Depuis sa naissance à Levallois-Perret, en 1910, que de chemins parcourus pour cet "anar" exceptionnel. Il a laissé son empreinte, depuis plus de deux générations maintenant, sur le mouvement libertaire français.

Jusqu'à son décès, nous sommes de ceux qui l'avons assidûment fréquenté et accompagné durant les trente dernières années de son existence. Ce n'est donc pas sans émotions que nous vous parlons du camarade et, plus encore, de l'ami qu'il était.

Joyeux Disque.jpgJeune ouvrier, il prit conscience de sa condition et s'activera rapidement dans un Comité de chômeurs. Il eut l'occasion de participerque dis-je d'insuffler ? - l'occupation du Consulat de Pologne à Paris ce qui lui valut en 1933 une première année de prison. Dès 1935, il adhèrait à l'Union anarchiste et ne quittera plus jamais ce courant de pensée et d'action. Réfractaire à la guerre, il fut emprisonné. Et, à l'occasion de son séjour à la prison lyonnaise de Montluc, il organisa une mutinerie qui lui permettra de s'évader. Maurice relata ces deux événements à l'occasion de la publication de ses deux romans autobiographiques : Le Consulat polonais et Mutinerie à Montluc. Libéré, il va retrouver des camarades qui, avec lui, reconstruiront le mouvement sous l'appellation de Fédération Anarchiste. Maurice possédait une forme de droiture intellectuelle. Je me souviens notamment de ses entretiens tendus, passage Ramey, avec certains représentants du groupe libertaire de la Faculté de Nanterre, mais aussi à Carrare (Italie) lors d'une rencontre internationale des mouvements anarchistes (septembre 1968), avec un certain Daniel Cohn-Bendit. Si Joyeux est resté ce qu'il était, que dire de l'autre...

La période de la Libération fut l'occasion d'une belle rencontre avec Suzy Chevet, une militante qui deviendra la compagne de sa vie. Cette union lui procura une certaine stabilité de vie. Il entreprit alors un développement et une pérennisation des activités du mouvement. Associé aux compétences de Suzy et des membres du Groupe libertaire Louise Michel (Paris XVIIIe) - que tous deux créèrent -, sans oublier une kyrielle d'artistes débutants ou de renom, il organisa de nombreux galas au Moulin de la Galette et à la Mutualité, manifestations qui permettront d'assurer le financement de projets conséquents, tels l'achat de locaux, la création de la revue La Rue, le passage du journal mensuel Le Monde Libertaire en formule hebdomadaire, et, enfin, la création de Radio Libertaire.

Par son travail militant au sein des mouvements syndical et libertaire, Maurice y occupa une place de premier plan. Homme de combat certes mais, avec un talent certain, il maniait aussi bien la parole que l'écrit. A l'occasion de ce dernier exercice il aura été d'une grande fécondité. Homme de plume, il est très difficile, sinon impossible, de compter les articles ou les études qu'il a produit dans des secteurs d'activités très divers. Que de nuits blanches et que de week-ends passés derrière son bureau de la rue Paul-Albert (Montmartre) à écrire un "papier" ou à préparer, en tribun populaire qu'il était, sa prochaine intervention publique... Même pendant ses vacances qui se se passaient en camping, il dévissait difficilement de sa chaise et de la table sur laquelle il posait sa machine à écrire...

C'est à cette occasion qu'il rédigea plusieurs de ses ouvrages. Il reste bien difficile de choisir l'une de ses pages pouvant illustrer mon propos ? J'ai longtemps hésiter sur l'extrait à vous soumettre. Mais, la crise économique actuelle aidant, le passage de son ouvrage L'anarchie dans la société contemporaine, une hérésie nécessaire ? publié aux Editions Casterman en 1977 (page 151) me semble très approprié. Malgré les années qui passent, l'analyse conserve toujours cette lucidité étonnante. Jugez plutôt :

"L'économie capitaliste est en crise. Pour la première fois de son histoire ? Tous les économistes classiques prétendent le contraire. Ils se trompent ou ils nous trompent !

Une économie de marché est par sa nature même conduite à l'expansion infinie. La concurrence provoque l'incitation à la consommation. Au besoin de consommation succède le désir de consommer pour satisfaire un mode de vie n'ayant plus de rapports avec la conservation de l'espèce. Tant que l'expansion trouve des débouchés, et malgré les bavures qui inévitablement se produisent, le système capitaliste du profit est florissant pour les classes qui en bénéficient. Il l'est également, dans une certaine mesure, pour les populations qui reçoivent des salaires leur permettant d'acheter à leurs patron les objets qu'ils fabriquent eux-mêmes. Lorsque l'expansion est bloquée, la machine économique tourne dans le vide, ac­cumule les surplus et les stocks, crée le chômage, suscite des faillites : ce qui réduit les revenus et précipite encore un peu plus les crises. L'expansion du système dépend de l'équilibre entre la fabrication et la consommation, entre les prix et les revenus. Lorsque cet équilibre est rompu, la pompe à production-consommation se désamorce. C'est la crise. Et, aujourd'hui, l'économie de marché, basée sur le profit, la plus-value et la concentration du capital sont en crise dans toutes les sociétés industrielles.

Les classes dirigeantes connaissaient le mécanisme de ces crises. Jusqu'à ce jour elles avaient été des crises de croissance, c'est-à-dire des crises d'adaptation du marché aux sciences, aux techniques, aux besoins nouveaux, sollicités par la publicité ou par l'évolution naturelle. Une de ces solutions consistait à conquérir de nouveaux marchés, à équiper les pays sous-développés. Les conquêtes coloniales comme les deux dernières guerres mondiales ne furent rien d'autre que des affrontements pour s'assurer des débouchés. Les deux ressorts qui permettent l'adaptation du système aux évolutions étaient l'espace et le temps. Aujourd'hui, c'est terminé ! L'espace et le temps ne jouent plus en faveur de l'expansion économique essentielle au capitalisme libéral ou d’État. Ils jouent contre lui."

Alors, convaincus ?

Afin d'aller plus avant dans la connaissance et la réflexion de Maurice Joyeux, quoi de mieux que d'aller à la librairie Publico (rue Amelot, Paris XIe) pour se procurer ses ouvrages et - pourquoi pas ?- les deux tomes de ses mémoires : Souvenirs d'un anarchiste et Sous les plis du drapeau noir. Leur lecture nous entraîne dans cette vie et cette époque particulièrement tumultueuses mais combien riches d'enseignements.

Rares sont les hommes possédant une telle trempe. Depuis sa disparition, souvent il m'arrive à penser à lui : au militant, à l'intellectuel et à l'homme tout simplement avec qui une amitié sans faille nous liait. De quoi marquer indélébilement ma construction libertaire.

 

Bibliographie

Graine d'ananar.jpg

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